La Cérémonie
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Quand on décide de suivre le fil de la vie, il faut s’attendre à tout. A partir à l’autre bout du monde pour à peine un demi-bout de raison. A devoir avaler des sonorités étranges qui n’ont pas l’air d’être faites pour notre bouche. Et surtout, à transformer ses certitudes sur soi-même et ses idées préconcues de la réalité. Ce fil filou m’a conduite sur les traces des moines bouddhistes thaïs, filant au vent sur ma moto dans les montagnes du Triangle d’Or et suant sur des coussins au pied des Bouddhas, pendant plusieurs mois. Fou de fil. Je l’ai suivi. Jusqu’à y perdre ma longue chevelure bouclée. Jusqu’à y gagner une nouvelle liberté. Voici donc quelques jours de l’histoire de ce fil qui s’entortille, pour qu’il croise le vôtre, où qu’il vous mène...
Devenir nonne. Petit frisson de répugnance. Des images apparaissent, venues d’on-ne-sait-où. Des silhouettes fantômatiques passant furtivement dans des couloirs nus. La poussière des missels aux pages souillées de traces de doigts gras. L’odeur rance des salles de prière mal aérées. La menace du Christ en croix au-dessus d’un lit simple aux couvertures râpeuses. Des bas de laine qui grattent coincés entre une jupe longue informe et des sandales en cuir. Il faut avouer que même pour la plus bigote des jeunes filles en fleur, l’idée à de quoi faire frémir. Peut-être que la douleur insoutenable d’un premier chagrin d’amour pourrait nous pousser à prononcer quelques paroles inconsidérées, de grandes phrases avec des « plus jamais », des promesses de pont-levis pour toujours remonté. Eventuellement, oui. Mais à trente ans, à force, on s’est fait de cette inconstante de Vie une vieille copine, et on sait qu’elle retournera sa veste encore un paquet de fois, on ne peut pas lui en vouloir, elle est faite comme ça. Il nous en faudrait bien plus pour sauter à pieds joints dans le gros bénitier et renoncer de ce même mouvement de grenouille non seulement aux caresses puissantes des mains d’un homme, mais aussi à la danse des couleurs vives du monde, et surtout, à la liberté de boire à toutes les sources de sagesse de cette planète. Certes, la Vie déçoit et blesse. Mais elle réenchante au prochain tour de manivelle, et la musique continue. Pas de quoi entrer dans les ordres. Pas en 2013, en tout cas. Et pourtant…
Ce n’est pas un chagrin d’amour qui m’a poussée à prononcer mes vœux. Mais plutôt une extase d’Amour, de cet Amour qui remplit chaque cellule de notre corps et prolonge nos bras en branches, ouvre notre tête au ciel, élargit notre cœur pour qu’il embrasse l’horizon, donne à nos jambes des montagnes pour les soutenir, plonge les racines de nos talons jusqu’au feu de la terre. Si un homme peut susciter ce genre d’amour, je ne l’ai pas encore rencontré. Il faut dire que je n’ai jamais rêvé d’être la Belle au Bois Dormant, attendant l’éveil par un improbable Prince Charmant. A tout prendre, je serais plutôt un Petit Chaperon Rouge qui n’a pas peur du loup. Ce n’est donc pas le baiser d’adieu d’un beau blond qui me transformera en crapaude à évangéliser.
Alors pour comprendre ce qui a bien pu se passer dans ma peau de femme à l’âme encapuchonnée d’écarlate pour vivre la mutation monastique, reprenons l’histoire depuis le début. Vous permettez que je vous emmène ? Un voyage dans le temps, à peine un an et demi auparavant. Un voyage dans l’espace, quelques degrés de longitude plus à l’est. Vloooooooooop. Le vortex spatio-temporel nous aspire, il tourne, tourne, tourne… Et nous recrache le 23 mais 2011, sur la table d’une petite pension familiale de Luang Prabang, au nord du Laos où je passe quelques jours...